CONTE DE NOEL

Publié le par le cinephage

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film français d' Arnaud Desplechin avec Anne Consigny, Chiara Mastroïanni, Catherine Deneuve, Matthieu Amalric, Hyppolite Girardot, Emmanuelle Devos

Chimère indigne

Chez les Vuillard, bonne famille de Roubaix, les rapports se sont dégradés depuis que la soeur a voulu bannir l'un des frères, Henri, après s'être engagée à rembourser l'ensemble de ses dettes. Mais Junon, la mère, apprend qu'elle est atteinte d'un cancer et cherche un donneur de moelle compatible. Seuls Paul, son petit-fils atteint de schizophrénie, et Henri sont compatibles. Ce dernier est alors enfin autorisé à faire son retour dans la maison familiale à l'occasion de noël. 

Chroniqueur invétéré depuis plus de dix ans de la socionévrose familiale, Arnaud Desplechin se plaît, tel un Chabrol postmoderne ou un Vinterberg néoclassique, à disséquer les méandres sans fond de l'âme humaine. Ici aussi nous sommes en province, dans une famille qui s'est enrichie grâce à la teinturerie familiale, mais n'a pas su se défaire de certaines taches (tares), de son théâtre d'ombres - comme nous l'indique un peu lourdement le prologue du film.
Un enfant est mort et n'a pu être sauvé par le sang d'un autre. Il faut donc que quelqu'un paye pour ce deuil. Comme dans les mythes antique, Henri est le bouc émissaire idéal, électron libre sans morale et sans situation. Le "petit juif", comme l'appelle sa mère, a été déporté hors du territoire familial. Mais c'est pour mieux y revenir, puisque donneur compatible il peut de fait sauver la mère qui le rejette depuis toujours - elle ne l'a jamais aimé. Allusion à Festen, c'est par un toast haineux qu'il dira ses quatre vérités à une famille tétanisée par les jeux de pouvoir de la mère et de la fille. On verra plus tard que les hommes de la famille eux-mêmes n'en sont pas totalement absents.

Le réalisateur de Rois et reines a le mérite de donner à chaque personnage une épaisseur suffisante pour nourrir la trame suffocante d'une tragicomédie en boucle, en éternel recommencement. Anne Consigny et Chiara Mastroïanni trouvent des rôles à la mesure de leur talent mais les autres acteurs ne sont pas moins remarquables.
Pourtant, on regrette parfois la grâce imprévisible des personnages de Comment je me suis diputé ma vie sexuelle dont le film constitue une sorte de prequel, reprenant d'ailleurs l'un des personnages centraux, celui de Paul Dédalus, ici représenté comme égaré dans le labyrinthe de sa schizophrénie. On sait Desplechin fasciné par les mythes, l'irruption de l'imaginaire dans le réel (La sentinelle), la maladie, le stigmate et par tout ce qui touche à la paranoïa et à la folie. De fait, on a constamment l'impression qu'un autre monde se cache derrière le réel et c'est sans doute là son plus grand talent de conteur et de cinéaste. Il suffirait juste que le film s'épure davantage, ne s'encombre pas trop de références socio-psycho-anthropologisantes (Emmanuel Bourdieu est co-auteur du scénario) pour que les personnages puissent se battre et se débattre avec leur propre histoire et leur propre liberté. C'est cela et uniquement cela qui nous intéresse au cinéma. Les ailes chimériques de Desplechin sont ici un peu trop lourdes pour lui permettre de toucher les cieux. Mais peut-être avait-il peur de les brûler ?

Publié dans cinecritic

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Un film qui a la richesse d'un roman... Effectivement, ce peut-être une qualité ou un défaut.
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